Cette interview télévisée à Moscou, est
la deuxième du genre après celle menée par les journalistes Glenn Greenwald et
Laura Poitras à Hong Kong en juin 2013.
(Crédit photo NDR News Germany)
Télévision Allemande dimanche soir en direct, entretien avec l’Américain Edward Snowden qui a révélé
publiquement et relayé largement à
l’étranger les particularités des programmes de surveillances opérées par la NSA.
Il devient de plus en plus évident que
ces révélations n’ont causé aucun tort, en fait, elles ont été bien utiles au
grand public.
Hubert
Seipel (Seipel) : Monsieur
Snowden avez-vous bien dormi ces dernières nuits parce que j’ai lu que vous aviez
demandé une protection policière en quelque sorte. Y a-t-il des menaces ?
Edward
Snowden (E. Snowden) : Il existe des menaces significatives
mais je dors très bien. Il y a eu un article publié dans un journal en ligne
appelé Buzz Feed où ils interviewaient des officiels du Pentagone, de l’Agence
Nationale de Sécurité (NSA) en leur accordant l’anonymat pour qu’ils puissent
dire ce qu’ils voulaient et ce qu’ils ont dit au journaliste reporter, c’est qu’ils voulaient m’assassiner. Ces
individus – et ce sont des officiels du gouvernement en fonction – disaient
qu’ils seraient heureux, qu’ils adoreraient me mettre une balle dans la tête,
m’empoisonner au retour d’une course chez l’épicier, et me voir mourir dans ma
douche.
Seipel : Mais fort heureusement vous êtes toujours
vivant parmi nous.
E.
Snowden :
Tout juste je suis toujours en vie et je ne manque pas de sommeil parce que
j’ai fait ce que je sentais devoir faire. C’était la bonne action à faire et je
ne me laisserai pas intimider par la peur.
Seipel : «La plus grande crainte que j’ai », et
je vous cite, « concernant les divulgations, c’est que rien ne
change. » C’était une de vos plus grandes préoccupations à l’époque mais
entre-temps il y a eu une vive discussion concernant la situation de la
NSA ; non seulement en Amérique mais également en Allemagne et au Brésil
et le Président Obama a été forcé de s’adresser au public et de justifier ce
que faisait la NSA sur des bases légales.
E.
Snowden :
Ce à quoi nous avons assisté initialement en réponse aux révélations, c’était
une sorte de cercle de chariots de protection, mis en œuvre par le gouvernement
sur l’Agence de Sécurité Nationale. Au lieu de conduire l’agence en formant un
cercle protecteur autour du public pour
protéger ses droits, la classe politique s’est concentrée autour de l’état
sécuritaire pour protéger ses propres droits. Ce qui est intéressant, c’est que
bien que cela ait été leur toute première réaction, on l’a vue s’adoucir
depuis. Nous avons vu le Président le reconnaître lorsqu’il a d’abord dit
« nous avons fait le bon bilan, il n’y a pas d’abus », nous l’avons
vu, lui et ses collaborateurs admettre qu’il y a eu des abus. Chaque année, Il y a des milliers de
violations de ce genre, de la part de
l’Agence de Sécurité Nationale et d’autres agences et par les autorités.
Seipel : Est-ce-que le discours d’Obama marque le début
d’une réglementation sérieuse ?
E.
Snowden : Il était clair à la lecture du discours du
Président qu’il voulait faire des changements mineurs pour préserver des
services dont nous n’avons pas besoin. Le Président a créé une commission de
surveillance constituée d’officiels qui étaient des amis personnels, d’anciens
de la sécurité nationale, d’un ancien Directeur adjoint de la CIA, de gens qui
avaient tout intérêt à y aller doucement sur ces programmes et à les considérer
d’un œil favorable. Mais ce qu’ils ont découvert était que ces programmes
n’avaient aucune valeur, qu’ils n’ont jamais empêché une attaque terroriste aux
Etats-Unis et qu’ils n’avaient eu au mieux qu’une utilité marginale dans
d’autres domaines. La seule chose que le programme de méga-données
téléphoniques de la section 215 confère, en fait c’est un programme plus vaste
de collecte brute de méga-données – une collecte brute signifie une surveillance
de masse – a révélé qu’il n’empêchait pas ou ne détectait pas les virement électroniques de 8500 $ de la part
d’un chauffeur de taxi californien et c’est ce genre de surveillance effectuée
par les opérateurs qui font que nous n’avons pas besoin de ces programmes, ces
programmes ne contribuent pas à notre sécurité.
Ils mobilisent d’énormes de ressources pour
fonctionner et ne nous apportent rien de valable. Ils poursuivent en disant
« nous pouvons les modifier ». L’Agence de Sécurité Nationale agit uniquement
sous l’autorité effective du Président. Il peut donc arrêter ou modifier ou
provoquer un changement de ses politiques à tout moment.
Seipel : Pour la
première fois le Président Obama a admis que la NSA collectait et stockait des
milliers de milliards de données.
E.
Sowden :
Chaque fois que vous prenez le téléphone, composez un numéro, rédigez un
courriel, effectuez un achat en ligne, prenez le bus en transportant un
téléphone portable, introduisez une carte quelque part, vous laissez une trace
et le gouvernement a décidé que c’était une bonne idée de toutes les collecter,
toutes, même si vous n’avez jamais été suspecté d’un crime. Traditionnellement
le gouvernement identifierait un suspect, irait voir un juge, lui dirait qu’il
suspectait l’individu d’avoir commis ce crime, obtiendrait un mandat et
pourrait ainsi utiliser la totalité de ses pouvoirs pour poursuivre l’enquête.
De nos jours ce que vous voyons, c’est qu’ils veulent utiliser la totalité de
leurs pouvoirs à l’avance – avant toute enquête.
Seipel : Vous
avez lancé ce débat, Edward Snowden est devenu entre-temps une icône pour le
lanceur d’alerte de l’âge de l’internet. Vous avez travaillé jusqu’à l’été
dernier pour la NSA et pendant ce temps vous avez collecté secrètement des
milliers de documents confidentiels. Y-a-t-il eu un moment décisif ou cela
a-t-il mis longtemps à mûrir ou quelque chose s’est-il passé, qu’est-ce-qui
vous a poussé à faire cela ?
E.
Snowden : Je dirai qu’une
sorte de moment décisif fut celui où j’ai vu le Directeur du Renseignement
National, James Clapper, mentir sous serment au Congrès. Il n’est pas possible
de sauver une communauté des services de renseignement en croyant qu’elle peut mentir au public et
aux législateurs qui doivent pouvoir lui faire confiance et légiférer sur ses poursuites . Assister à cela signifiait
réellement pour moi qu’il n’y avait pas moyen de revenir en arrière. Au-delà de
cela, il y a eu la lente prise de conscience que personne d’autre ne le ferait.
Le public avait le droit de connaître l’existence de ces programmes. Le public
avait le droit de savoir ce que le gouvernement faisait en son nom, et ce que
le gouvernement faisait contre le public, mais nous n’étions pas autorisés à en
discuter, nous n’étions autorisés à rien, même le corps élargi de nos
représentants élus ne pouvait connaître ou discuter de ces programmes et c’est
une chose dangereuse. La seule supervision dont nous disposions était une cour
secrète, la Cour FISA, qui est une sorte de bureau, le sceau d’autorité.
Quand vous êtes à l’intérieur du
système et que vous allez travailler chaque jour et que vous vous asseyez à
votre bureau et que vous réalisez le pouvoir que vous avez – vous pouvez
écouter le Président des Etats-Unis, vous pouvez écouter un juge fédéral et si
vous le faites discrètement jamais personne ne le saura parce que la seule
façon dont la NSA peut découvrir des abus c’est en se contrôlant elle-même.
Seipel : Nous ne
parlons pas seulement de la NSA dans ce domaine, il existe un accord
multilatéral de coopération entre les services et cette alliance sur des
opérations de renseignement est connue sous le nom des Cinq Yeux (Five Eyes).
Quelles agences et pays font partie de cette alliance et quel est son
but ?
E.
Snowden : L’alliance des Cinq Yeux est une sorte de
reliquat de l’après Deuxième Guerre Mondiale où les pays anglophones sont les
principales puissances faisant alliance pour en quelque sorte coopérer et
partager les coûts de l’infrastructure de collecte du renseignement.
Donc nous avons le GCHQ britannique (Government
Communications HeadQuarter, ndT), nous avons la NSA américaine, le C-Sec
canadien, le Australian Signals Intelligence Directorate et le DSD
néo-zélandais. Le résultat en fut pendant des décennies et des décennies une
sorte d’organisation supranationale du renseignement qui n’obéissait pas aux
lois de leurs propres pays.
Seipel : Dans de
nombreux pays, comme en Amérique également les agences comme la NSA ne sont pas
autorisées à espionner à l’intérieur de leurs propres frontières et leur
population. Donc les Britanniques par exemple peuvent espionner tout le monde
sauf les Britanniques mais la NSA peut mener des surveillances en Angleterre, donc
finalement, ils pourraient échanger leurs données et seraient en conformité avec la loi.
E.
Snowden : Si vous posez directement la question aux
gouvernements, ils le nieraient et feraient référence aux accords politiques
entre les membres des Cinq Yeux stipulant qu’ils n’espionneraient pas les
citoyens des autres pays membres mais il y a là quelques points-clés. Le
premier est qu’ils ne définissent pas comme de l’espionnage la collecte de renseignements. Le GCHQ
collecte une énorme masse de données, d’informations sur les citoyens britanniques tout comme la
NSA le fait pour les citoyens américains. Ce qu’ils disent c’est qu’ils ne
cibleront pas les gens mentionnés dans ces données. Ils ne rechercheront pas
des citoyens du Royaume-Uni ou britanniques. De plus les accords politiques
conclus entre eux disent que des Britanniques ne cibleront pas des citoyens
américains, que les Américains ne cibleront pas des citoyens britanniques, ne
les engageant pas juridiquement. Les actuelles notes de service des accords
stipulent tout particulièrement, qu’ils
ne visent pas à légalement émettre des restrictions à un quelconque
gouvernement. Il y a des accords qui peuvent être modifiés ou rompus à tout
moment. Donc s’ils en ont après un citoyen britannique ils peuvent espionner un
citoyen britannique et ils peuvent même partager ces données avec le
gouvernement britannique, à qui il est
interdit d’espionner les citoyens britanniques. Donc il y a une sorte de
dynamique négociée mais qui est inavouée, cela se fait en douce et au-delà, l’essentiel est de se rappeler que la
surveillance et l’abus ne se produisent pas lorsque les gens exploitent les
données, mais lorsque les gens collectent les données en premier lieu.
Seipel : Quel est le degré de coopération entre le
Service Secret allemand BND (Bundesnachrichtendienst, ndT) et la NSA et les
Cinq Yeux ?
E.
Snowden : Je le qualifierai d’intime. En fait la
première manière dont je l’ai décrit dans notre interview écrite était que les
services allemands et les services américains couchent ensemble. Ils partagent
non seulement des informations, des rapports d’investigation, des résultats du
renseignement, mais ils partagent en fait les outils et l’infrastructure et
travaillent ensemble contre des cibles communes aux services et cela recèle
beaucoup de danger. Un des principaux programmes qui est source d’abus dans
l’Agence de Sécurité Nationale est appelé « XKeyscore ». C’est un
moteur de recherche frontal qui leur permet de faire des recherches transversales
de tous les enregistrements qu’ils
collectent mondialement chaque jour.
Seipel : Que
pourriez-vous faire avec ce genre d’outil si vous étiez pour ainsi dire à leur
place ?
E.
Snowden : Vous pourriez lire les courriels de chacun
dans le monde entier. Tous ceux dont vous possédez l’adresse électronique, tout
site dont vous pouvez observer le trafic entrant et sortant, tout ordinateur
devant lequel est assis un utilisateur peut être observé, tout ordinateur
portable que vous ciblez peut être suivi dans ses déplacements à travers le
monde. C’est un magasin unique d’accès à l’information de la NSA. Et de plus
vous pouvez marquer les utilisateurs de « XKeyscore ». Disons que je
vous ai vu une fois et que je me suis dit que ce que vous faisiez était
intéressant ou que vous avez accès à des choses qui m’intéressent, admettons
que vous travaillez pour une grande entreprise allemande et que je veux accéder
à ce réseau, je peux tracer votre nom d’utilisateur sur un site web, sur un
formulaire quelconque, je peux tracer votre vrai nom, je peux tracer des
associations avec vos amis et je peux construire les liens de ce qu’on appelle
une empreinte digitale qui représente l’activité réseau qui vous est propre, ce
qui signifie que où que vous alliez dans le monde, où que vous tentiez de
dissimuler votre présence sur le réseau ou votre identité, la NSA peut vous
retrouver et tous ceux qui sont autorisés à l’utiliser ou avec qui la NSA
partage son logiciel peuvent faire de même. L’Allemagne est un des pays à avoir
accès à « XKeyscore ».
Seipel : Cela
paraît plutôt effrayant. La question est : le BND livre-t-il des données
sur les Allemands à la NSA ?
E.
Snowden : Que le BND le fasse directement ou en
connaissance de cause, la NSA reçoit des données allemandes. Si cela se fait,
je ne peux en parler avant que cela ne soit publié parce que cela serait
classifié et je préfère que les journalistes fassent le tri et prennent les
décisions sur ce qui intéresse le public
et ce qui devrait être publié. Cependant, ce n’est pas un secret que chaque
pays au monde a les données de ses citoyens stockés à la NSA. Des millions et
des millions de connexions de données d’Allemands vaquant à leurs occupations
quotidiennes, parlant sur leurs téléphones portables, envoyant des SMS,
visitant des sites web, faisant des achats en ligne, tout cela finit à la NSA
et il est probable que le BND soit au courant dans une certaine mesure.
Maintenant je ne saurai dire s’ils fournissent ou non activement ces
informations.
Seipel : Le BND
explique que si nous le faisons, nous le faisons en fait accidentellement et que
notre filtrage ne fonctionnait pas.
E.
Snowden : Bien donc le genre de choses dont ils
discutent sont de deux ordres. Ils parlent de filtrer l’ingestion de données,
ce qui signifie que la NSA installe un serveur secret chez un fournisseur d’accès
de télécommunications allemand ou qu’elle pirate un routeur allemand en déviant
le trafic de manière à leur permettre de faire des recherches, ils disent
« si je vois ce que je crois être un allemand parlant à un autre allemand
je laisse tomber » mais comment savoir. Vous pourriez dire « eh bien
ces personnes parlent en langue allemande », « cette adresse IP
semble être celle d’une société allemande s’adressant à une autre société
allemande », mais cela n’est pas précis et ils ne laisseraient pas tomber
tout ce trafic parce qu’ils ont identifié des cibles intéressantes, qui sont
actives en Allemagne en utilisant les communications allemandes. Donc de façon
réaliste quand ils disent qu’il n’y a pas d’espionnage des Allemands, ils ne
veulent pas dire que des données allemandes ne sont pas collectées, ils ne
veulent pas dire que des enregistrements ne sont pas effectués ou volés, ce
qu’ils veulent dire c’est qu’ils ne surveillent pas intentionnellement des
citoyens allemands. Et là c’est une sorte de promesse avec les doigts croisés dans
le dos, ce n’est pas fiable.
Seipel : Qu’en est-il d’autres pays européens comme
la Norvège et la Suède par exemple parce que nous avons un tas de câble je
pense, sous-marins qui traversent la Mer Baltique.
E.
Snowden : C’est une sorte d’élargissement de la même
idée. Si la NSA ne collecte pas d’informations sur les citoyens allemands en
Allemagne, le fait-elle aussitôt qu’elles passent les frontières
allemandes ? Et la réponse est « oui ». Toute communication qui
transite par l’internet peut être interceptée par la NSA en de multiples
points, que ce soit en Allemagne, en Suède, en Norvège ou Finlande, en
Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En n’importe quel point de ces pays par
lesquels passe une communication allemande, celle-ci peut être ingérée et
ajoutée à la base de données.
Seipel : Donc
passons alors à nos voisins du sud de l’Europe. Qu’en est-il de l’Italie, de la
France, de l’Espagne ?
E.
Snowden : C’est la même façon de procéder dans le monde
entier.
Seipel : La NSA
espionne-t-elle Siemens, Mercedes, d’autres sociétés allemandes qui réussissent
par exemple, pour avoir le dessus, pour avoir l’avantage concurrentiel et savoir ce qui se passe dans le monde
scientifique et économique ?
E.
Snowden : Je ne veux pas anticiper les décisions
éditoriales des journalistes mais je dirai qu’il est hors de doute que les
Etats-Unis pratiquent l’espionnage économique.
S’il y a de l’information sur Siemens
dont ils pensent qu’elle pourrait servir les intérêts nationaux, non la
sécurité nationale des Etats-Unis, ils chercheront cette information et la
récupéreront.
Seipel : Il y a
ce vieil adage qui dit « vous faites ce que vous pouvez » donc la NSA
fait tout ce qui est techniquement possible.
E.
Snowden : C’est quelque chose que le Président a abordé
l’année dernière lorsqu’il a dit que ce n’est pas parce que nous sommes
capables de faire quelque chose, et c’était en relation avec le piratage du
téléphone portable d’Angela Merkel, ce n’est pas parce que nous en sommes capables
que nous devons le faire, et c’est exactement ce qui s’est passé. Les capacités
technologiques qui ont été acquises en raison des faibles normes de sécurité
des protocoles internet et des réseaux de communications cellulaires ont eu
pour effet que les services de renseignement peuvent créer des systèmes qui
voient tout.
Seipel : Rien
n’a plus contrarié le gouvernement allemand que le fait que la NSA ait piraté
le téléphone portable privé de la chancelière allemande Merkel au cours des 10
dernières années ; à l’évidence soudainement cette surveillance invisible
se rattachait à une personnalité connue et non plus à une espèce d’arrière-plan
terroriste flou et obscur : Obama a maintenant promis d’arrêter d’espionner
Merkel ce qui pose la question : la NSA a-t-elle espionné les
gouvernements précédents y compris les chanceliers précédents et quand
l’a-t-elle fait et depuis combien de temps ?
E.
Snowden : C’est une question à laquelle il m’est particulièrement
difficile de répondre parce qu’il y a des informations dont je pense fortement
qu’elles sont d’intérêt public. Cependant, comme je l’ai déjà dit, je préfère
laisser les journalistes prendre ces décisions à l’avance, passer en revue les
éléments et décider si oui ou non la
valeur pour le public dépasse le genre d’atteinte à la réputation de ceux qui
ont ordonné la surveillance. Ce que je peux dire, c’est que nous savons
qu’Angela Merkel était sous surveillance de l’Agence de Sécurité Nationale. La
question est de savoir s’il est raisonnable de penser qu’elle soit la seule
personne officielle allemande à être surveillée, à quel point il est possible de croire qu’elle soit la seule personnalité
éminente en Allemagne que l’Agence de Sécurité Nationale surveillait. Je
suggérerai qu’il soit déraisonnable pour quelqu’un qui se préoccupait des
intentions des dirigeants allemands de ne surveiller que Mme Merkel et non ses
collaborateurs, d’autres officiels éminents, ses ministres ou même des
officiels de gouvernements régionaux.
Seipel : Comment
un jeune homme d’Elizabeth City en Caroline du Nord, âgé de 30 ans, accède-t-il
à une tel poste dans un domaine aussi sensible ?
E.
Snowden : C’est une question à laquelle il est très
difficile de répondre. En général, je dirai que cela met en lumière les dangers
de privatiser des fonctions gouvernementales. Je travaillais précédemment en
fait comme cadre de direction, en tant qu’employé du gouvernement dans l’Agence
Centrale du Renseignement (CIA) mais j’ai travaillé le plus souvent comme
sous-traitant privé. Ce que cela signifie, c’ est qu’il existe des sociétés
privées qui effectuent un travail qui est intrinsèquement du ressort du
gouvernement comme de l’espionnage ciblé, de la surveillance, de l’infiltration
de systèmes étrangers, et quiconque dispose des compétences pour convaincre une
société privée qu’il a les qualifications nécessaires, sera chargé par le
gouvernement de le faire et il y a très peu de supervision, très peu de
contrôle.
Seipel : Etiez-vous
un de ces classiques enfants de l’ère informatique qui avaient les yeux rougis
à force de passer leurs nuits devant l’écran à l’âge de 12 à 15 ans avec leur
père qui toquait à leur porte en leur disant « éteins la lumière, il est
tard » ? Avez-vous acquis vos compétences informatiques de cette
manière ou quand avez-vous eu votre premier ordinateur ?
E.
Snowden : Il est exact j’ai certainement eu … je dirai
une formation informelle approfondie en informatique et en technologie
électronique. Cela m’a toujours fasciné et intéressé. Et il est juste de dire
que j’avais des parents qui me disaient d’aller au lit.
Seipel : Si on
regarde le peu de données disponibles publiquement sur votre vie, on découvre
que vous vouliez à l’évidence rejoindre les Forces Spéciales en mai 2004 pour
combattre en Irak, quelle était votre motivation à l’époque ? Vous savez,
les Forces Spéciales, si on vous regarde en ce moment, cela signifie d’âpres
combats et probablement de tuer. Et êtes-vous déjà allé en Irak ?
E.
Snowden :
Non je ne suis pas allé en Irak … une des choses intéressantes à propos des
Forces Spéciales, c’est qu’elles ne sont pas destinées au combat direct, elles
sont ce qu’on appelle un multiplicateur de force. Elles sont infiltrées
derrière les lignes ennemies, c’est un groupe qui dispose d’un certain nombre
de spécialités différentes et qui forme et met la population locale en capacité
de résister ou de servir de support aux forces américaines d’une manière qui
leur donne une chance de peser sur leur propre destinée et je sentais que
c’était en soi une noble cause à l’époque. Après coup certaines des raisons qui
nous ont amenées en Irak n’étaient pas bien fondées et je pense ont rendu un
mauvais service à tous ceux qui étaient impliqués.
Seipel : Qu’est-il
arrivé à votre aventure alors ? Etes-vous resté longtemps avec eux ou que
vous est-il arrivé ?
E.
Snowden : Non, je me suis brisé les jambes à
l’entraînement et j’ai été réformé.
Seipel : Alors
en d’autres termes l’aventure a tourné court ?
E.
Snowden : Cela a été une brève aventure.
Seipel : En 2007
la CIA vous a stationné sous couverture diplomatique à Genève en Suisse.
Pourquoi avoir rejoint la CIA à propos ?
E.
Snowden : Je ne pense pas pouvoir répondre à cette
question en direct.
Seipel : D’accord
en ce qui concerne ce que vous y avez fait, oublions, mais pourquoi avoir
rejoint la CIA ?
E.
Snowden : A plusieurs égards je pense que c’est dans la
continuité de mon action de favoriser l’ intérêt public de la manière la plus
efficace et c’est en phase avec le reste de mon activité au service du
gouvernement où j’essayais d’utiliser mes compétences techniques dans les
postes les plus difficiles que je pouvais trouver dans le monde, et la CIA m’en offrait l’occasion.
Seipel : Si nous
revenons en arrière : Forces Spéciales, CIA, NSA, cela ne cadre pas
vraiment avec le profil d’un activiste des droits de l’homme ou de quelqu’un
qui devient un lanceur d’alerte après cela. Que vous est-il arrivé ?
E.
Snowden : Je pense que cela raconte une histoire et que
cela n’a rien à voir avec la profondeur de l’engagement des individus dans le
gouvernement, ni avec leur fidélité au gouvernement, ni dans la force de leur
foi dans les choix de leur gouvernement comme cela a été mon cas pendant la
guerre d’Irak, les gens peuvent apprendre, les gens peuvent découvrir la limite
entre un comportement gouvernemental approprié et de réels méfaits et je pense
qu’il est devenu évident pour moi que cette limite avait été franchie.
Seipel : Vous
avez travaillé pour la NSA par l’intermédiaire d’un sous traitant privé du nom
de Booze Allen Hamilton, un des grands noms du secteur. Quel est l’intérêt pour
le gouvernement américain ou la CIA de sous-traiter à une société privée l’externalisation
d’une fonction centrale du gouvernement ?
E.
Snowden : La culture de la sous-traitance de la
communauté de la sécurité nationale aux Etats-Unis est une question compliquée.
Le moteur en est un ensemble d’intérêts comprenant d’abord la nécessité de
limiter le nombre d’employés directs du gouvernement et en même temps d’écarter
des groupes de lobbying du Congrès de sociétés très solides telles que Booze
Allen Hamilton. Le problème est que vous arrivez à une situation où des
politiques gouvernementales sont influencées par des sociétés privées qui ont
des intérêts qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public. Le résultat en est ce
que nous avons vu chez Booze Allen Hamilton où vous avez des individus qui ont
accès à ce que le gouvernement reconnaît comme des millions et des millions
d’enregistrements avec lesquels ils pouvaient passer la porte à tout moment
sans en référer, sans supervision, sans audit, sans même que le gouvernement
sache où ils allaient.
Seipel : A la
fin vous êtes arrivé en Russie. Nombre de communautés du renseignement vous
soupçonnent d’avoir passé un accord, du matériel classifié en contrepartie d’un
asile ici en Russie.
E .
Snowden : Le chef de la Task Force qui a étudié mon cas
pas plus tard qu’en décembre a conclu qu’il n’avait aucune preuve ou indice que
j’avais bénéficié d’une aide ou de contacts extérieurs ou que j’avais conclu un
accord de quelque nature pour accomplir ma mission. J’ai travaillé seul. Je
n’ai eu besoin de personne d’autre, je n’ai pas de liens avec des gouvernements
étrangers, je ne suis pas un espion à la solde de la Russie ou de la Chine ou
d’un autre pays dans cette affaire. Si je suis un traître qui ai-je
trahi ? J’ai livré toute mon information au public américain, à des
journalistes américains qui enquêtent sur des questions américaines. S’ils
prennent cela pour une trahison je pense que les gens doivent s’interroger sur ceux
pour qui ils croient travailler. Le public est supposé être leur patron non
leur ennemi. Au-delà de cela en ce qui concerne ma sécurité personnelle, je ne
serai jamais pleinement en sécurité avant que ces systèmes n’aient changé.
Seipel : Après
vos révélations aucun pays européen ne vous a vraiment offert l’asile. Où en
Europe avez-vous demandé le droit d’asile ?
E.
Snowden : Je ne peux me rappeler la liste des pays en
détail parce qu’ils étaient nombreux mais la France et l’Allemagne ainsi que le
Royaume-Uni en faisaient certainement partie. Un nombre de pays européens, dont
la totalité a malheureusement estimé que faire ce qui est juste était moins
important que d’apporter leur soutien aux intérêts politiques américains.
Seipel : Une
réaction à l’espionnage de la NSA en ce moment est que des pays comme
l’Allemagne réfléchissent à la création d’internet nationaux afin de forcer les
sociétés du net à garder leurs données dans leur propre pays. Est-ce
faisable ?
E.
Snowden : Cela n’arrêtera pas la NSA. Disons-le ainsi :
la NSA va là où se trouvent les données. Si la NSA peut extraire des messages
des réseaux de télécommunication en Chine, il est probable qu’elle puisse
sortir des messages facebook d’Allemagne. A la fin la solution à ce problème
n’est pas de tout mettre entre quatre murs. Bien que cela augmente le niveau
d’évolution et de complexité nécessaire à la récupération de l’information, il
vaut beaucoup mieux simplement sécuriser l’information au niveau international
de toute intrusion plutôt que de jouer à « déplacer les
données ». Déplacer les données
ne résout pas le problème. Le problème est de sécuriser les données.
Seipel : En ce
moment Obama ne semble à l’évidence pas trop préoccupé par le message de la
fuite. Et avec la NSA ils sont beaucoup plus préoccupés d’attraper le messager
dans ce contexte. Obama a demandé à plusieurs reprises au président russe de
vous extrader. Mais Poutine ne l’a pas fait. Il semble que vous deviez
probablement passer le reste de votre vie en Russie. Comment vous sentez-vous
en Russie dans ce contexte et existe-t-il une solution à ce problème.
E.
Snowden : Je pense qu’il devient de plus en plus
évident que ces fuites n’ont pas provoqué de dégâts et qu’en fait elles ont
servi l’intérêt général. Pour cette raison je pense qu’il sera très difficile
de maintenir une sorte de campagne permanente de persécution envers quelqu’un
dont le public reconnaît qu’il sert
l’intérêt public.
Seipel : Le New
York Times a écrit un très long article et demandé que la clémence vous soit
accordée. Le titre en est « Edward Snowden lanceur l’alerte » et je
cite l’article : « Le public a appris dans le détail comment l’agence
a étendu son mandat et abusé de son autorité. » Et le New York Times
conclut : « Le Président Obama devrait demander à ses collaborateurs
de commencer à trouver une manière de mettre fin au dénigrement de Mr Snowden
et de l’inciter à revenir au pays. » Avez-vous eu un appel de la Maison
Blanche dans l’intervalle ?
E.
Snowden : Je n’ai jamais reçu d’appel de la Maison
Blanche et je ne passe pas mon temps à côté du téléphone. Mais j’accueillerai
volontiers l’occasion de parler de la manière d’amener cette affaire à une
conclusion qui satisfasse les intérêts de toutes les parties concernées. Je
pense qu’il est clair qu’il y a des moments où ce qui légal est distinct de ce
qui est juste. Il y a de telles époques dans l’histoire et il n’est pas besoin
de réfléchir longtemps pour un Américain ou un Allemand pour trouver dans
l’histoire de son pays des époques où la loi permettait au gouvernement
d’accomplir des choses qui n’étaient pas justes.
Seipel : En ce
moment le Président Obama à l’évidence ne semble pas en être convaincu parce
qu’il a dit que vous étiez accusé de trois crimes et je cite : « si
vous Edward Snowden croyez en ce que vous avez fait pourquoi ne revenez-vous pas
en Amérique pour comparaître au tribunal
avec un avocat et plaider votre cause. » Est-ce la solution ?
E. Snowden : C’est intéressant parce qu’il a mentionné
trois crimes. Ce qu’il ne dit pas, c’est que les crimes dont il m’accuse sont
des crimes qui ne me permettent pas de me défendre en justice. Ils ne
m’autorisent pas à me défendre devant un tribunal public et convaincre un jury
que ce que j’ai fait l’a été dans leur intérêt. La loi sur l’espionnage, qui
date de 1918, n’a jamais permis de poursuivre les sources des journalistes, les
gens qui donnent aux journaux des informations qui sont d’intérêt public. Elle
concerne des gens qui vendent en secret des documents à des gouvernements
étrangers qui bombardent des ponts et sabotent des communications, pas des gens
qui agissent pour l’intérêt général. Donc je dirai d’une manière illustrée que
le président choisirait de dire que vous devriez affronter la musique alors
qu’il sait que la musique est un **procès pour la galerie.
**procès pour la galerie = show trial
**procès pour la galerie = show trial
noun
(especially in a totalitarian state) the public trial of a political offender conducted chiefly for propagandistic purposes, as to suppress further dissent against the government by making an example of the accused.
(Surtout dans un état totalitaire) l'audience publique d'un délinquant politique dirigé principalement à des fins de propagande, pour réprimer davantage la dissidence contre le gouvernement en faisant un exemple de l'accusé.
Origin:
1945–50
1945–50
Traduction : Patrick/ Isabelle
09/02/2014
09/02/2014
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