ERDOGAN : IDLIB
M’APPARTIENT!
Posted on 01/03/2020 by Elijah J Magnier
Par
Elijah J. Magnier: @ejmalrai
Traduction :
Daniel G.
Un développement majeur
s’est produit en Syrie vendredi. La veille, une attaque russe contre un convoi
turc à Idlib, au nord-est de la Syrie, avait tué 36 soldats et officiers turcs.
En représailles, la Turquie a lancé une attaque de drones armés sans précédent
qui a duré plusieurs heures et qui a tué et blessé plus de 150 officiers et
soldats syriens et alliés du Hezbollah et de la brigade des Fatimides (Liwa
Fatimiy’oun). Les drones turcs ont détruit des dizaines de chars et de lance-roquettes
déployés par l’armée syrienne tout au long de la ligne de front. La Russie
avait interrompu son soutien aérien à la Syrie et à ses alliés qui ont demandé
aux Russes des explications sur cette absence de coordination et l’arrêt de
leur soutien aérien, qui a permis aux drones turcs de tuer autant de membres de
l’armée syrienne et des forces alliées. Que s’est-il passé,
pourquoi et quelles seront les conséquences?
En
octobre 2018, la Turquie et la Russie ont signé un accord à Astana afin
d’établir une zone de désengagement le long de la route reliant Damas à Alep
(M5) et celle entre Alep et Lattaquié (M4). Il était convenu que les belligérants se retireraient
et rendraient les routes accessibles à la circulation civile. Il était en outre
entendu de mettre fin à la présence de tous les djihadistes, y compris les
Tadjiks, les Turkmènes, les Ouïghours et tous les autres combattants étrangers
présents à Idlib associés à Hayat Tahrir al-Sham (ex-Daech, ex-al-Qaeda en
Syrie), Hurras al-Din (al-Qaeda en Syrie) et Ahrar al-Sham, c’est-à-dire tous
les combattants étrangers et rebelles « non modérés ». L’an dernier,
Hayat Tahrir al-Sham a pris le contrôle intégral d’Idlib et de sa région rurale
sous l’œil vigilant de la Turquie.
Plus d’un an après, la
Turquie n’a pas respecté son engagement de mettre fin à la présence des
djihadistes et d’ouvrir la M5 et la M4 comme prévu. L’armée syrienne et ses
alliés, de pair avec la Russie, ont donc convenu d’imposer l’accord d’Astana
par la force. En quelques semaines, la ligne défensive des djihadistes s’est
écroulée sous le coup des intenses bombardements russes. Selon des commandants
sur le terrain, les djihadistes laissaient moins de 100 hommes dans chaque
village, qui reculaient sous les intenses bombardements et préféraient partir
plutôt que d’être encerclés par l’armée syrienne qui avançait rapidement.
Selon
les commandants militaires en Syrie, devant ce recul des djihadistes, la
Turquie a décidé de déployer des milliers de troupes en Syrie afin de mener une
contre-offensive contre l’armée syrienne et ses alliés. Cette action a fait en sorte qu’il était impossible
pour les Russes de faire une distinction entre les djihadistes et l’armée
turque. De plus, la Turquie s’est gardée d’informer la Russie de la position de
ses forces régulières, comme il est convenu dans l’accord de désengagement
entre la Russie et la Turquie. C’est à ce moment que la Russie a
bombardé un convoi qui a tué 36 officiers turcs et 17 djihadistes qui les
accompagnaient.
D’après
des sources au sein de l’organe décisionnel en Syrie, les forces aériennes
russes n’étaient pas au courant de la présence du convoi turc qu’elles ont
pratiquement décimé à Idlib. Le
commandement turc a fourni des véhicules turcs et déployé des milliers de
soldats turcs aux côtés des djihadistes. C’est comme si le président Recep
Tayyip Erdogan souhaitait qu’il y ait un grand nombre de victimes turques pour
que cesse l’attaque victorieuse et rapide de l’armée syrienne sur le front
d’Idlib et mettre un frein à la débandade des djihadistes.
D’après les sources, le
nombre de soldats turcs tués a surpris la Russie, qui a décrété un
cessez-le-feu unilatéral pour calmer le jeu sur le front et désamorcer la
situation. Moscou a ordonné à son centre opérationnel militaire en Syrie
d’arrêter l’offensive militaire et d’interrompre l’attaque dans la région
rurale d’Idlib. S’engager dans une guerre contre la Turquie n’entre pas dans
les plans du président Poutine en Syrie. La Russie croyait le moment propice à
une accalmie sur le front pour permettre à Erdogan de lécher ses plaies.
Cette illusion de la part
des Russes ne correspondait pas du tout aux intentions et aux plans de la
Turquie en Syrie. La Turquie a déplacé son commandement militaire et sa base de
contrôle à la frontière avec la Syrie pour mieux diriger les attaques contre
l’armée syrienne et ses alliés. Les drones armés turcs ont mené une attaque
organisée sans précédent qui a duré plusieurs heures et détruit la ligne de
défense syrienne au complet sur la M5 et la M4, sapant ainsi l’efficacité de
l’armée syrienne équipée et entraînée par la Russie. De
plus, l’Iran avait informé la Turquie de la présence de ses forces et de ses
alliés aux côtés de l’armée syrienne, en lui demandant de stopper l’attaque
pour éviter de faire des victimes. La Turquie, qui compte plus de 2 000
officiers et soldats dans 14 postes d’observation aujourd’hui sous le contrôle
de l’armée syrienne, a fait fi de la demande iranienne et bombardé le QG
iranien et celui de ses alliés, y compris un hôpital militaire de campagne,
tuant ainsi 30 combattants alliés (9 membres du Hezbollah et 21 de la brigade
des Fatimides) et des dizaines d’officiers de l’armée syrienne. L’attaque
turque a fait aussi plus de 150 blessés parmi les soldats de l’armée syrienne
et leurs alliés.
Il
est désormais clair que la Russie, l’Iran et leurs alliés ont mal compris la
véritable intention du président Erdogan : la Turquie est impliquée dans
la bataille d’Idlib pour défendre ce qu’Erdogan considère comme un territoire
turc (Idlib). Voilà la signification du message de la Turquie à la lumière du
comportement et du déploiement de l’armée turque aux côtés des djihadistes.
Damas et ses alliés trouvent que la Russie a commis une erreur en n’empêchant
pas les drones turcs d’attaquer le territoire sous contrôle syrien à Idlib. La
Russie a en outre commis une autre erreur grave en n’avertissant pas ses alliés
que la direction politique à Moscou avait décrété un cessez-le-feu unilatéral,
exposant ainsi ses partenaires sur le champ de bataille au danger en leur
refusant une couverture aérienne.
Ce n’est pas la première
fois que la Russie met fin à une bataille en cours en Syrie. C’est
déjà arrivé dans la Ghouta, à Alep-Est, à el-Eiss, dans la Badia et à Deir
Ezzor. C’est la Russie qui a demandé à l’armée syrienne et à ses alliés de se
préparer en vue de la bataille pour reprendre la M5 et la M4. D’un point de vue
militaire, pareille attaque ne peut être interrompue tant qu’un cessez-le-feu
n’a pas été convenu sur tous les fronts par toutes les parties. Le
cessez-le-feu unilatéral était une grave erreur, parce que la Russie n’avait
pas prévu la réaction turque et n’avait pas permis à l’armée syrienne et à ses
alliés de s’équiper de système de défense antiaérienne. De plus, pendant que le
bombardement de l’armée syrienne par les Turcs se prolongeait des heures
durant, il a fallu de nombreuses heures pour que les commandants russes
convainquent Moscou d’intervenir et de demander à la Turquie d’arrêter le
bombardement.
Le
commandement militaire de la Syrie et ses alliés croient que la Turquie se sent
maintenant en confiance de répéter ce genre d’attaque devant l’hésitation des
Russes à s’y opposer. La Syrie, l’Iran et leurs alliés ont donc décidé de
sécuriser la couverture aérienne de leurs forces réparties dans la région
d’Idlib pour s’assurer qu’elles disposent d’une protection indépendante même si
la Russie promettait, selon la source, de diriger une future attaque et de
reprendre le contrôle total de l’espace aérien.
Il
est compréhensible que la Russie ne soit pas en Syrie pour déclencher une
guerre contre le membre de l’OTAN qu’est la Turquie. Mais l’OTAN n’est pas en position de soutenir la
Turquie, du fait qu’elle occupe un territoire syrien. Sauf
que la guerre en Syrie a démontré que la primauté du droit n’est guère
respectée par l’Occident. Une intervention des USA n’est pas à exclure, ne
serait-ce que pour gâcher la victoire de la Russie, de l’Iran et de la Syrie et
leurs plans en vue de libérer le Levant des djihadistes et d’unifier le pays.
Une intervention possible des USA est une source de préoccupation pour la
Russie et l’Iran, d’autant plus que le président Erdogan ne cesse d’appeler à
une intervention directe des USA, à une zone d’exclusion aérienne de
30 km, à une zone tampon le long de la frontière avec la Syrie, à la livraison
de missiles d’interception Patriot pour affronter les forces aériennes russes
et à une protection contre les réfugiés syriens déplacés à l’intérieur du pays
(tout en organisant leur départ vers l’Europe).
Moscou
maintient de bons liens commerciaux et énergétiques avec la Turquie et le
président Poutine n’est pas en Syrie pour déclencher une nouvelle guerre contre
les ennemis de la Syrie que sont la Turquie, les USA et Israël, malgré
l’importance du Levant pour les forces aériennes (base de Hmeimim) et navales
(base de Tartous) russes.
Les
choix sont limités : soit que la Russie accepte de soutenir la préparation
de l’inévitable contre-attaque syrienne des prochains jours avant un sommet
Poutine-Erdogan, soit que la situation à Idlib soit mise en attente jusqu’à ce
que les djihadistes attaquent Alep de nouveau dans six ou sept mois.
Cet
article est traduit gratuitement dans de nombreuses langues par des volontaires
pour que les lecteurs puissent en apprécier le contenu. Son accès ne devrait pas être verrouillé par un mur de
paiement (paywall). Je tiens à remercier toutes les personnes qui me suivent et
me lisent pour leur confiance et leur soutien. Si
vous aimez ce que vous lisez, vous pouvez contribuer aussi peu qu’un euro.
Votre contribution, même minime, permet d’assurer la continuité. Merci.
Copyright
© https://ejmagnier.com 2020
No comments:
Post a Comment