[Ceci est une rediffusion d'un article posté en Mars de l'année dernière, dont
le temps est enfin venu. Avec la nouvelle année, un changement de voilure
semble avoir eu lieu sur les marchés financiers: au lieu de monter en profitant
des mauvaises nouvelles ("melt-up"), qui était le processus habituel, ils
ont commencé à fondre. Ma prédiction originale était que cela va conduire à
plus de conflits armés. Voyons voir si j'ai eu raison.]
Balayant les titres de la presse mainstream occidentale, puis regardant
attentivement derrière le miroir sans tain pour les comparer avec les allées et
venues réelles, on peut avoir l’impression que les propagandistes de
l’Amérique, et de tous ceux qui suivent dans leur sillage, poussent de toutes
leurs forces pour concocter des justifications pour une action militaire quelle
qu’elle soit, que ce soit pour fournir des armes à l’armée ukrainienne
largement défunte, ou pour un défilé de matériels et de troupes militaires des
États-Unis mis en scène dans la ville presque entièrement russe de Narva, en
Estonie, à quelques centaines de mètres de la frontière russe, ou pour mettre
des conseillers américains en danger dans certaines parties de l’Irak
principalement contrôlées par des militants islamistes.
Les efforts acharnés pour attiser l’hystérie comme au temps de la guerre froide
sous le nez d’une Russie autrement préoccupée mais essentiellement passive,
semblent hors de proportion avec la menace militaire réelle posée par la
Russie. (Oui, en Ukraine, les bénévoles et des munitions filtrent à
travers la frontière russe, mais c’est tout.) Plus au sud, les efforts visant à
renverser le gouvernement de la Syrie, en aidant et en armant les islamistes
radicaux semblent avoir beaucoup de ratés. Mais
c’est un scénario bien connu, n’est ce pas? Que l’engagement militaire américain
de mémoire récente n’ai abouti qu’à des fiascos? Peut-être que
l’échec n’est pas seulement une option, mais plus une nécessité?
Passons-les en revue.
• L’Afghanistan, après la plus longue campagne militaire de l’histoire des
États-Unis, a été rendue aux talibans.
• L’Irak n’existe plus en tant que nation souveraine, elle est fracturée en
trois morceaux, l’un d’eux contrôlé par des islamistes radicaux.
• L’Égypte a été démocratiquement réformée en une dictature militaire.
• La Libye est un état moribond en pleine guerre civile.
• L’Ukraine sera bientôt dans un état semblable; elle a été réduite à la
pauvreté en un temps record, moins d’une année.
• Un renversement récent du gouvernement a sorti le Yémen de la sphère
d’influence des États-Unis.
• Plus près de nous, les choses vont si bien dans les pays d’Amérique centrale
dominés par les US, le Guatemala, le Honduras et El Salvador, qu’ils ont
produit un flot de réfugiés, tous essayant d’entrer aux États-Unis dans
l’espoir d’y trouver un sanctuaire.
En regardant ce vaste paysage d’échecs, il y a deux
façons de l’interpréter. La première est que l’administration des États-Unis
est la plus incompétente que l’on puisse imaginer, et ne peut jamais obtenir
quoi que ce soit de correct. Mais une autre façon de voir est qu’ils ne
réussissent pas pour une raison très différente: ils ne réussissent pas parce
que les résultats ne comptent pas. Vous voyez, si l’échec était un problème,
alors il y aurait une sorte de pression venant de quelque part au sein de
l’establishment, et la pression pour réussir pourrait donner sporadiquement
lieu à une amélioration des performances, menant à au moins quelques succès.
Mais si, de fait, les échecs ne sont pas un problème du tout, et si à la place
il y avait une sorte de pression à l’échec, nous verrions alors exactement ce
que nous ne voyons.
On peut aussi remarquer que c’est la portée limitée de l’échec [l’échec de
l’échec en somme, Note du Saker Fr] qui constitue un problème. Cela
expliquerait les récentes rodomontades en direction de la Russie, l’accusant
d’ambitions impériales (Russie qui n’est pas intéressée par des gains
territoriaux), la diabolisation de Vladimir Poutine (qui est efficace et
populaire) et les provocations le long de diverses frontières de la Russie (en
laissant la Russie se sentir vaguement insultée mais plus généralement
indifférente). On peut faire valoir que toutes les précédentes victimes de la
politique étrangère des États-Unis, comme l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la
Syrie, et même l’Ukraine, sont trop petites pour produire un échec assez grand
pour satisfaire le goût de l’Amérique pour l’échec. La Russie, d’un autre côté,
surtout quand on est incité à penser qu’il se lève une sorte de fascisme
nouveau à la sauce américaine, a la capacité de fournir aux États-Unis un échec
de politique étrangère qui éclipserait tous les précédents.
Des analyses ont proposé une variété d’explications pour le militarisme
hyperactif et surdimensionné de l’Amérique. Voici les trois premiers:
1. Le gouvernement américain a été soumis au complexe militaro-industriel, qui
demande à être financé généreusement. Les justifications sont créés
artificiellement pour atteindre ce résultat. Mais il semble y avoir une sorte
de pression pour fabriquer effectivement des armes et avoir des armées sur le
terrain. Est-ce que ça ne serait pas beaucoup plus rentable d’atteindre
l’échec total simplement en volant tout l’argent sans passer par la
construction réelle des systèmes d’armes? [c’est fait en partie, Note du Saker
Fr] Donc il doit y avoir quelque chose d’autre.
2. La posture militaire américaine est conçue pour assurer une domination
totale de l’Amérique sur l’ensemble de la planète. Mais domination totale sonne
un peu comme succès, alors que ce que nous voyons est un échec complet. Encore
une fois, cette histoire ne correspond pas aux faits.
3. Les actes militaires des États-Unis pour défendre le statut du dollar
américain comme monnaie de réserve mondiale. Sauf que le dollar américain est
lentement mais sûrement en train de perdre son attractivité en tant que monnaie
de réserve, comme en témoignent la Chine et la Russie agissant aussi rapidement
que possible pour se débarrasser de leurs réserves en dollars américains, et
stocker de l’or à la place. De nombreux autres pays ont conclu des accords
entre eux pour cesser d’utiliser le dollar américain dans le commerce
international. Le fait est qu’on n’a pas besoin d’un énorme potentiel militaire
pour vider sa monnaie nationale dans les toilettes, donc, une fois de plus,
quelque chose d’autre doit se passer.
Il y a beaucoup d’autres explications possibles, mais aucune d’entre elles
n’explique le fait que le but de tout ce militarisme semble être de parvenir à
l’échec.
Peut-être une explication plus simple suffirait? Que diriez-vous de celle-ci?
Les États-Unis ont abandonné leur souveraineté à une clique d’oligarques
financiers. N’ayant plus personne à qui répondre de ses actes, cette oligarchie
américaine (et dans une certaine mesure internationale) a ruiné la situation
financière du pays, en augmentant la dette jusqu’à des niveaux stupéfiants,
détruisant l’épargne et les retraites, avilissant la monnaie et ainsi de suite.
L’inévitable fin du jeu est que la Réserve fédérale des États-Unis (avec les
banques centrales des autres pays développés) finira par acheter toute les
dettes souveraines avec l’argent qu’ils impriment à cet effet et, au bout du
compte, cela conduira inévitablement à l’hyperinflation et à la faillite
nationale. Un ensemble très particulier de conditions a empêché ces
deux événements d’avoir lieu jusqu’à ce jour, mais cela ne signifie pas qu’ils
ne se produiront pas, parce que c’est ce qui arrive toujours, tôt ou tard.
Maintenant,
supposons qu’une oligarchie financière ait pris le contrôle du pays, et, comme
elle ne peut pas contrôler ses propres appétits, elle est en cours
d’effondrement. Alors, il serait logique pour elle d’avoir une sorte de plan de
sauvegarde pour le jour où tout le château de cartes financier s’écroulera. Idéalement,
ce plan aurait pour effet de mettre fin à toute chance de révolte des masses
opprimées, et de permettre à l’oligarchie de maintenir sa sécurité et sa
richesse. En temps de paix, c’est possible aussi longtemps qu’elle peut apaiser
la populace avec du pain et des jeux, mais quand une calamité financière
provoque un crash économique, le pain et les jeux deviennent rares, et la
solution de repli à portée de main, c’est la guerre.
N’importe quelle justification pour la guerre fera l’affaire, qu’il s’agisse de
terroristes étrangers ou nationaux, du croquemitaine russe, ou
d’extraterrestres hallucinés. Le succès militaire n’est pas important, parce
que l’échec est encore mieux que le succès pour maintenir l’ordre, car il
permet de forcer l’ordre grâce à diverses mesures de sécurité. Plusieurs pistes
sont explorées et ont été testées, telles que l’occupation militaire de Boston
à la suite des attentats et la mise en scène sur le marathon de Boston. L’infrastructure
de surveillance et le complexe industriel des prisons partiellement privatisé
sont déjà en place pour enfermer les indésirables. Un échec vraiment énorme
fournirait la meilleure justification pour mettre l’économie sur le pied de
guerre, imposant la loi martiale, la répression de la dissidence, interdisant
les activités politiques extrémistes et ainsi de suite.
Voilà à quoi nous devrions peut-être nous attendre. L’effondrement financier
est déjà tout cuit, et ce n’est qu’une question de temps avant que cela
n’arrive effectivement et précipite l’effondrement commercial lorsque les
chaînes d’approvisionnement mondiales cesseront de fonctionner. L’effondrement
politique peut être évité, et sa meilleure façon de résister sera de commencer
le plus grand nombre possible de guerres, afin de tisser, en toile de fond, une
multitude d’échecs servant de justification à toutes sortes de mesures
d’urgence, qui toutes n’ont qu’un seul objectif: supprimer la rébellion et
garder l’oligarchie au pouvoir. Hors des États-Unis, il semblera que les
Américains détruisent tout: des pays, des infrastructures, des passants
innocents, et eux-mêmes (figurez-vous, apparemment cela fonctionne aussi). De
l’extérieur, regardant dans la salle des miroirs sans tain de l’Amérique, cela
ressemblera à un pays devenu fou; mais il y ressemble déjà de toute façon. Et à
l’intérieur de la salle des miroirs, cela ressemblera à de vaillants défenseurs
de la liberté qui luttent contre les ennemis implacables du monde entier. La
plupart des gens resteront dociles et agiteront juste leurs petits drapeaux.
Mais je m’aventurerai à parier qu’une défaillance se produira à un certain
moment se traduisant par un méta-échec: l’Amérique échoue même à l’échec.
J’espère qu’il y a quelque chose que nous pouvons faire pour aider ce méga
échec de l’échec à se produire le plus vite possible.
Traduit
par Hervé, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone
Posted by Dmitry
Orlov at 03:30
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