Sauvetage
de Banco Espirito Santo : quelques enseignements pour la zone euro, par
Jean-Michel Naulot
Nous avons déjà présenté M. Naulot ici, ancien banquier et ancien de l’AMF.
J’ai peu parlé de l’affaire
BES, mais la 1ère banque portugaise qui fait faillite, c’est éloquent.
La “résolution” du problème
est venue hier, extrait de Challenges :
Soucieux de freiner la
contagion, l’Etat portugais s’est résolu dimanche 3 août à renflouer à hauteur
de 4,4 milliards d’euros la banque en difficulté Espirito Santo (BES), tout en mettant
fortement à contribution ses actionnaires.
Après avoir longtemps écarté
ce scénario, le gouvernement puisera ainsi dans l’enveloppe de 12 milliards
d’euros réservée aux banques dans le cadre du plan de sauvetage
du Portugal négocié avec la troïka (UE-FMI-BCE), dont il restait 6,4
milliards d’euros. [...]
Après avoir publié une perte
semestrielle record de 3,57 milliards d’euros, “Banco Espirito Santo présentait
un risque de cessation de paiements qui aurait mis en danger le système
financier national” [...]
Face à l’hécatombe du titre
en Bourse, qui a été suspendu vendredi 1er août après avoir chuté de près de
75% en une semaine, les espoirs de voir la banque attirer de nouveaux
investisseurs sans recourir à l’aide de l’Etat avaient été anéantis.
Pour arrêter l’hémorragie,
les autorités portugaises ont décidé de scinder la banque en deux entités, afin
de permettre de séparer les actifs toxiques des produits sans risque.
Les actifs toxiques, dont les titres de dette à haut
risque de la famille Espirito Santo et les parts dans la filiale de BES en
Angola, seront logés au sein d’une structure de défaisance (bad bank), chargée
de les liquider.
L’ensemble des actifs sains seront regroupés au sein
d’une nouvelle banque, baptisée Novo Banco, qui sera contrôlée par le Fonds de
résolution des banques portugaises, créé en 2012 à la demande de la troïka afin
de pouvoir faire face à des crises bancaires.
Quant à la “bad bank”, elle restera entre les mains
des actuels actionnaires, qui risquent d’être lourdement pénalisés car ils
seront amenés à en assumer les pertes, a prévenu le ministère des Finances.
Parmi les actionnaires figure, avec une part de 14,6%,
le groupe français Crédit agricole, qui devra dévoiler l’ampleur des dégâts
lors de la présentation de ses comptes mardi. [...]
“Cela fait un moment que des
clients de BES retirent leur argent. Il n’y a aucune raison à cela, mais la
panique n’a rien de raisonnable”, a commenté Joao Cesar das Neves, professeur
d’économie à l’Université catholique de Lisbonne.
Le cas du Portugal est le premier test des
nouvelles règles transitoires en vigueur en attendant la mise en place en 2016
de l’union bancaire européenne qui vise à éviter aux contribuables de payer
pour les banques.
La solution trouvée pour Banco Espirito Santo
“contribuera à rétablir la confiance dans la stabilité du système financier” du
Portugal, a estimé la Commission européenne, qui a jugé le dispositif conforme
aux nouvelles règles en vigueur.
Sauvetage de Banco Espirito Santo : quelques
enseignements pour la zone euro
L’annonce du plan de sauvetage de Banco Espirito Santo
(BES) démontre à quel point les discours tenus par les dirigeants de la zone
euro sont parfois éloignés des réalités financières. Le projet d’Union bancaire
adopté par les gouvernements et les parlementaires européens en mars dernier
vient ainsi de confirmer certains de ses dangers, alors même qu’il n’est que
très partiellement en place.
En cas de défaillance d’un établissement bancaire
systémique, ce projet prévoit de mettre à contribution non seulement les
actionnaires et les créanciers subordonnés mais aussi les créanciers ordinaires
et les déposants. Comme cela a été souligné lors de son adoption, ce projet qui
s’inspire du modèle chypriote fait craindre qu’en cas de rumeur sur un
établissement tout le monde s’en aille dès le premier jour. C’est exactement ce
qui vient de se passer avec la défaillance de BES où l’on a assisté à une vraie
panique des créanciers ordinaires et des déposants qui ont anticipé sur les
nouvelles règles en ne voulant pas prendre le risque de se faire piéger. Ils
ont ainsi bien involontairement accéléré la chute de l’établissement et les
risques de contagion, même si en définitive les autorités ont décidé de les
protéger.
Lors de la présentation du projet d’Union bancaire, on
nous avait également expliqué que le lien serait désormais coupé entre les
banques systémiques et les Etats. Or, dans le cas de BES, dont les actifs
représentent la moitié du PIB du Portugal, la démonstration vient une nouvelle
fois d’être faite que lorsque le temps presse l’intervention de l’Etat est la
seule manière de dissiper les doutes sur la solvabilité de l’établissement.
L’injection de capitaux publics annoncée dimanche soir est la démonstration que
les banques dites systémiques sont indissociablement liées à leurs Etats.
Autre enseignement de cette crise, l’empressement
manifesté par les dirigeants européens à déclarer que le Portugal sortait du
plan de sauvetage, à la veille des élections européennes, apparaît
rétroactivement assez puéril. Pour sauver BES, l’Etat portugais fait
appel aux fonds d’aide à disposition de l’Etat portugais. La dette publique
portugaise ne sera certes pas affectée puisqu’il reste un solde non utilisé
mais les marchés vont prendre à nouveau conscience que la dette publique
portugaise est considérable, représentant 133% du PIB au lieu de 93% en 2010. Une fois encore, il est démontré que la politique
conduite par la zone euro pour réduire la dette publique a l’effet exactement
inverse. Les politiques d’austérité et la menace de déflation font progresser
la dette. La dette publique italienne atteint 138% du PIB, venant de 119%
en 2010. Quant à la dette française, elle atteint 99% du PIB (Eurostat :
96,6% + 2,4% de prêts aux Etats en difficulté), venant de 81,7% en 2010.
Enfin, on aura une pensée pour les petits actionnaires
de la banque qui ont été appelés à souscrire à une augmentation de capital il y
a deux mois et qui viennent de perdre l’argent qu’ils avaient apporté. Ils vont
en plus hériter de la seule « bad » banque. Ils seront en
droit de s’interroger sur les règles de transparence qui s’appliquent à un
établissement aussi important, sept ans après le déclenchement de la crise
financière.
Jean-Michel Naulot, blog Mediapart, 4 aout 2014
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